Jacques Pulou, 28 avril 2021
Le Gouvernement (et pas que celui-là) est depuis longtemps en difficulté face à la petite hydraulique :
- la DGEC, les hydro-électriciens sérieux et les économistes spécialistes de l’énergie savent que le gisement est faible et que son cout est élevé pour le budget de l’Etat ces projets étant fortement subventionnés.
- la DEB [1], très inquiète des impacts de la petite hydraulique sur les cours d’eau et des difficultés pour ces derniers d’atteindre le bon état DCE en 2027, a réussi à s’entendre avec la DGEC sur ce point
Cet alignement des services du Ministère fait que, sauf pression du Ministre (on a vu ce que cela donnait avec Ségolène Royal) le Ministère est assez réservé sur la petite hydraulique, ce qui donne des phrases assassines comme par exemple dans la PPE de 2020 :« Compte tenu de leur coût plus élevé et de leur bénéfice moins important pour le système électrique au regard de leur impact environnemental, le développement de nouveaux projets hydroélectriques de faible puissance doit être évité sur les sites présentant une sensibilité environnementale particulière. »
Parallèlement les usiniers de la petite hydraulique ont convaincu nombre de maires de communes que la petite hydraulique pouvait être une mine d’or pour leur communes, souvent située en montagne et dotée de faibles revenus. De ce fait, ces derniers font le siège des députés et des sénateurs pour faciliter la petite hydraulique en avançant surtout l’argument de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (qui est plus présentable que leur intérêt financier) même si de tels investissements ont un très mauvais rendement sur ce chapitre là comparé, par exemple, aux économies d’énergies en particulier dans l’habitat.
A cela il faut ajouter un autre fait : les appels d’offre petite hydraulique ont de moins en moins de succès et il y a aussi une montée de la contestation et des contentieux. Le diagnostic du Ministère est que les usiniers ne déposent pas de « bons projets aux bons endroits » (cela vient de la logique des appels d’offre petite hydraulique que nous avons dénoncés : les usiniers choisissent les sites et ces sites sont souvent des sites sensibles). De plus les projets en liste 1 se multiplient depuis l’annulation de l’article 1er du décret du 3 aout 2019 par le Conseil d’État. En plus les projets ont souvent besoin pour passer de faire reconnaitre leur « intérêt public majeur » devant les tribunaux voire parfois carrément une Déclaration d’Utilité Publique (DUP) car il y a souvent nécessité d’expropriation soit du fait de l’opposition de certains propriétaires soit parce que les ayant droits ne sont pas connus et que leur accord pour passer sur leurs terrains ne peut être recueilli.
Cette véritable prise en ciseaux des services du Ministère conduit à une position exprimée en filigrane d’une note diffusée par le Gouvernement aux députés en anticipation aux débats du 7 avril 2021 :
- L’État soutient financièrement le développement de la petite hydroélectricité
- Son potentiel de développement résiduel est limité pour de nouvelles installations comparativement aux autres filières ENR. La très petite hydroélectricité (les moulins) présente un intérêt énergétique très limité.
- Les impacts environnementaux de la petite et très petite hydroélectricité sont importants.
- Des travaux du GT continuité écologique qui visent à concilier les enjeux de préservation environnementale et de production électrique.
- Des actions complémentaires sont en cours pour atteindre les objectifs de développement de la petite hydroélectricité inscrits dans la PPE, dans le respect des enjeux environnementaux :
- notification en cours d’un nouveau dispositif de soutien pour la rénovation des installations existantes entre 1 et 4,5 MW
- mise en place d’une démarche de planification, pour orienter les projets vers les sites présentant le moins d’enjeux environnementaux avec un intérêt énergétique.
Dont les phrases soulignées en rouge montre la grande cohérence : on se méfie des impacts mais on annonce les possibilités de faire avec ….. La dernière phrase ouvrant sur l’avenir …
Le Conseil d’État vient de rendre un arrêt (voir annexe) selon lequel (je simplifie) l’ « intérêt public majeur » ne serait pas reconnu à des projets de petite hydraulique s’ils sont pris individuellement mais à plusieurs projets dans un cadre « planifié ». Ce n’est pas faire injure aux vénérables Conseillers d’État que de penser que cette option leur soit venue spontanément à l’esprit sans y avoir été préalablement suggérée de l’extérieur …
Face à cette contradiction, le Gouvernement s’est donc orienté vers la planification des projets de petite hydraulique en ciblant « de bons projets sur de bons sites » . L’article 22 bis B (nouveau) (voir texte en annexe) de la « petite loi » Climat et Résilience [2] adoptée par l’Assemblée Nationale, introduit en commission par sa rapporteure Cendra Motin (députée de l’Isère) sans doute sur « suggestion » du gouvernement, prépare l’avènement de cette nouvelle approche en se basant sur les « communautés d’énergie » … au sujet desquelles on peut trouver ridicule de localiser la production d’électricité que l’on sait parfaitement transporter à longue distance depuis une centaine d’années environ (en plus au milieux de zones ultra exportatrices que sont les vallées des Pyrénées et des Alpes !).
Conclusion :
Il est hautement probable que à une certaine échelle territoriale sans doute au niveau de la région on assiste à la mise en place d’un véritable « schéma directeur de la petite hydraulique » . Reste à savoir de quels privilèges jouiront les projets retenus notamment en ce qui concerne l’accès à la précieuse autorisation environnementale unique… on sait déjà que le Conseil d’État leur reconnaitra un certain « intérêt public majeur » voire une possibilité de DUP ….
Annexes :
Extrait de l’arrêt Conseil d’État, arrêt n°432158, 15 avril 2021 [3]
« Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la production annuelle de la centrale hydro-électrique projetée était évaluée à 12 millions de kilowattheures, soit la consommation électrique d’environ 5 000 habitants, permettant d’éviter le rejet annuel dans l’atmosphère de l’ordre de 8 300 tonnes de gaz carbonique, 38 tonnes de dioxyde de souffre, 19 tonnes de dioxyde d’azote et de 1,2 tonnes de poussières. Après avoir souverainement procédé à ce constat, la cour administrative d’appel a retenu qu’il n’était pas établi que ce projet de centrale hydroélectrique serait de nature à modifier sensiblement en faveur des énergies renouvelables l’équilibre entre les différentes sources d’énergie pour la région Occitanie et pour le territoire national et que le projet ne pouvait être regardé comme contribuant à la réalisation des engagements de l’Etat dans le développement des énergies renouvelables. En statuant ainsi, alors qu’il n’était pas établi devant elle que le projet, quoique de petite taille, s’inscrivait dans un plan plus large de développement de l’énergie renouvelable et notamment de l’hydroélectricité à laquelle il apporterait une contribution utile bien que modeste, la cour administrative d’appel n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en refusant de reconnaître, en l’état de l’instruction devant elle, que le projet répondait à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. »
Article 22 bis B (nouveau) de la « petite loi »
L’État encourage, en lien avec les collectivités territoriales concernées et avec les communautés d’énergie mentionnées au titre IX du livre II du code de l’énergie qui ont des projets de production d’hydroélectricité sur un bassin, l’identification de sites potentiellement propices au développement de l’hydroélectricité dans le respect des objectifs de protection du bon état écologique des cours d’eau et de protection de la biodiversité.
Des études en amont d’identification et de qualification de ces sites propices peuvent être menées en partenariat avec les acteurs concernés.
L’État établit, dans un délai de deux ans, un bilan du déroulement de ces travaux.