FICHE 3 : Les anciens moulins comme centrales hydroélectriques ?

Cette fiche n’aurait pas lieu d’être s’il ne courait pas des chiffres fantaisistes sur ce que pourrait produire la reconversion systématique des anciens moulins en centrales hydroélectriques.

Les moulins étaient nombreux [1]. Ils avaient également une puissance unitaire très faible si on la compare à celle des centrales hydroélectriques modernes même en se limitant, dans cette comparaison, à ce qu’il est convenu d’appeler la « petite hydraulique ». La puissance moyenne des centrales de petite hydraulique est d’environ 1MW [2] que l’on peut comparer à la puissance nécessaire à l’entrainement d’une meule, environ 5 kW soit 200 fois moins. Même en tenant compte du faible rendement des roues hydrauliques, la reconversion des moulins aboutirait dans le meilleur des cas à des centrales hydroélectriques de puissance plusieurs dizaines de fois plus faible que 1 MW [3].

Si l’on additionne ces milliers de petites contributions réparties sur nos cours d’eau, on aboutit à des valeurs extraordinaires devant lesquelles on peut s’extasier : 4TWH [4] soit la moitié de la production hydroélectrique du Rhin français, le quart de celle du Rhône français, la moitié d’un réacteur nucléaire de dernière génération, un peu plus de la moitié de la production moyenne de toute la petite hydraulique existante, et, par-dessus tout cela, un gisement qui serait resté ignoré de tous, sauf de quelques rares esprits particulièrement perspicaces !

La prise en compte d’un certain nombre de faits ramène à une réalité plus ordinaire.

Tout d’abord l’hydroélectricité n’échappe pas aux économies d’échelle : les petites centrales sont celles qui produisent le kWh le plus cher. Cela est particulièrement vrai pour les basses chutes qui se confrontent à des débits importants nécessitant un circuit hydraulique largement dimensionné et des machines de forte taille comparée à des centrales de haute chute de puissance identique.

De ce point de vue, les anciens moulins à la fois petits et en basse chute, sont mal partis.

  1. Une part importante de ces sites a disparu par ruine, par la destruction d’une partie de leur infrastructure (prise d’eau, ouvrages d’amené ou de fuite…) [5] ou par dérivation des eaux par un aménagement hydraulique moderne [6].
  2. Certains moulins sont établis sur des cours d’eau temporaires ou de très faible débit avec éventuellement la possibilité de constituer une réserve accumulée pendant des jours ou à l’occasion d’un orage [7]. Cela suffisait pour moudre en quelques heures la production des champs alentours. Leur conversion en centrales hydroélectrique est de peu d’intérêt.
  3. La hauteur de chute de nombreux moulins est inférieure à 2 m [8] ce qui réduit considérablement l’éventail des dispositifs existants pour ce type de chute [9] sans parler de leur coût, en particulier pour des débits importants (voir supra).
  4. La question du coût se pose aussi pour les moulins placés en des sites isolés dépourvus de possibilité d’évacuation de l’énergie produite et dont la conversion doit supporter cet investissement (renforcement de réseau).
  5. Les coûts de conversion des anciens moulins en centrale hydroélectrique sont très liés aux modifications du génie civil que cette conversion entraine. La maitrise de ces coûts repose sur l’existence de technologies électromécaniques adaptées (voir supra) et ne nécessitant pas de trop grandes modifications dans le génie civil [10]. Ceux dont la conversion réclamerait de trop grandes modifications de leurs infrastructures se retrouvent éliminés de ce fait .
  6. Certains moulins font partie du patrimoine et leur transformation en centrale hydroélectrique moderne peut se révéler dommageable à la préservation de leur intégrité patrimoniale (modification du génie civil, lignes d’évacuation d’énergie…) [11]. Se contenter des roues hydrauliques anciennes même remises à neuf serait accepter des performances inférieures.
  7. Pour les sites encore en état et dont une hydraulicité suffisante a été respectée, bien d’autres causes peuvent en interdire la transformation en centrale hydroélectrique : par exemple moulin exposant au risque d’inondation un environnement aujourd’hui voué à d’autres fins (urbanisme, industrie…) sans, bien sûr, parler des moulins dont le seuil constitue un obstacle à la continuité écologique, sans autre possibilité d’aménagement que son effacement total ou partiel.

Conclusion  : Même si nous reconnaissons volontiers qu’il est difficile d’estimer la contribution que pourrait avoir la reconversion de tous les sites anciens à la production hydroélectrique (1GW de puissance ? 1TWh de productible ? [12]), celle-ci sans doute faible voire très faible ne pourrait être obtenue qu’à des coûts extrêmement élevés [13]qui ne seraient acceptables pour les propriétaires sans une aide publique massive et supérieure à celle actuellement en place pour la petite hydraulique [14]. Sans cela, la conversion des anciens moulins restera une occupation pour une poignée de passionnés [15] disposant de fonds importants.

Annexe 1 : Potentiel de la conversion des moulin à eau en centrales électriques

Plusieurs estimations ont été données dans des documents officiels. Citons le rapport Dambrine, déjà mentionné, mais également dans divers documents émanant de la DGEC.
Fabrice Dambrine indique sans justification ni référence et, il faut bien le dire, sans conviction, la possibilité de remettre en route sous forme de centrales hydroélectriques quelques 30.000 moulins pour un productible de 1 TWh. La DGEC publie périodiquement soit directement soit sous le timbre de son ministère de tutelle, un tableau du potentiel hydroélectrique résiduel en France métropolitaine. La puissance totale attribués à la conversion des moulins est donnée pour 350 MW déduction faite des moulins déjà reconvertis.
Ces deux estimations, toutes deux données sans origine, proviennent peut-être d’un inventaire des usines hydrauliques en activité sur les cours d’eau de métropole en 1927 publié en 1931 par le Ministère des travaux publics, Service central des forces hydrauliques et des distributions d’énergie électrique sous le titre de « Statistique de la production et de la distribution de l’énergie électrique en France », Imprimerie nationale (Paris). Cet inventaire signalait 29.253 moulins et usines à eau non électrogènes pour une puissance totale de 396,90 MW (soit 13,56 kW par « moulin »). Les puissances unitaires sont proches et capable de faire mouvoir quelques paires de meules (Il faut compter 5-7 CV par paire de meule soit 3,7 - 5,2 kW).
Le raisonnement produit par Fabrice Dambrine serait alors de considérer ces 29.253 « moulins » de l’inventaire de 1927 comme candidats à une reconversion en centrales hydroélectriques en tenant compte d’un rendement de 87,5%1 dans l’opération d’où il ressortirait une puissance installée de 350 MW ce qui, avec un facteur de charge de 3000 h annuelles, conduirait à un peu plus de 1TWh de productible.
On reconnaît incidemment le seul chiffre donné par la DGEC de 350 MW pour la puissance installée supplémentaire possible en France
par la conversion des anciens moulins en centrales hydroélectriques.
Ces chiffres doivent être considérés comme des majorants de ce potentiel, basés sur des données datant de 1927 (des moulins de la liste ont été convertis, d’autres ont disparu ou leur conversion est devenue impossible : voir explications supra) et qu’il ne tient compte
d’aucune condition technico-économique.


[1Plusieurs dizaines de milliers, nombre variable suivant les époques mais qui a culminé à plus de 100.000 juste après la Révolution si on additionne aux nombre des moulins, ceux de toutes les installations profitant de la force motrice des eaux : scie mécaniques, forges, fenderies, taillanderies, bocards, filatures, tissages...

[2Source FHE

[3En tenant compte d’un rendement de 20%, le rouet (roue horizontale très fréquente dans le bassin méditerranéen) entrainant une meule pourrait être remplacé par une turbine moderne fournissant une puissance nominale de 20kW environ

[4L’origine de ce chiffre, et d’estimation plus élevée encore, est attribuée au projet européen RESROR-HYDRO (Renewable Energy Sources Transforming Our Regions). Ce projet est coordonné par ESHA (European Small Hydropower Association) l’association européenne de la petite hydroélectricité́, avec dix partenaires de différents pays européens (dont FHE pour la France). ESHA se défini elle-même comme « (ESHA) is a lobby organisation promoting the interest of small hydropower in Europe. » On en saurait mieux délimiter la confiance avec laquelle ces chiffres doivent être pris, d’autant plus que les documents sur lesquels ils sont basés ne sont pas consultables en ligne. Par exemple cet article cité comme ayant étudié ce potentiel : Punys P et al (2019), An assessment of micro-hydropower potential at historic watermill, weir, and non-powered dam sites in selected EU countries, Renewable Energy, 133, 1108-1123. Il n’est pas inintéressant de savoir que Petras Punys est également membre de la « Lithuanian Hydropower Association » et qu’elle représente cette association au sein du projet RESTOR HYDRO https://fdmf.fr/un-projet-au-service-des-moulins-et-de-la-transition-energetique/
L’Union européenne qui, semble-t-il, cofinance ce projet dans le cadre de son programme « Énergie intelligente-Europe » prend bien soin de rajouter sur les production de ce projet que « L’entière responsabilité du contenu dépend de ses auteurs. Ce contenu ne reflète pas nécessairement l’opinion de l’Union européenne. Ni EACI ni la commission européenne ne sont responsables de toute utilisation faite des informations contenues dans ce document » Par exemple : https://www.france-hydro-electricite.fr/wp-content/uploads/2019/09/RESTORhydro-brochure.pdf

[5Par exemple au hasard du morcellement des fonds et de leur aliénation, par la construction d’ouvrages publics : route, pont… ou encore leur intégration dans un tissu urbain

[6Il faudrait également éliminer des perspectives de développement la part des moulins déjà équipée pour la production hydroélectrique.

[7Sous l’ancien régime les fêtes étaient nombreuses et on ne travaillait pas la nuit (d’où l’expression de travail « au noir » pour désigner une activité illicite). Cela contribuait alors à rendre acceptable un fonctionnement intermittent des moulins éventuellement lissé par la présence d’une réserve d’eau ( « Serve », « écluse »…) se remplissant la nuit ou durant la période de chômage. Une différence aussi avec le fonctionnement d’une centrale électrique dont le profit est lié à l’absence d’arrêts : les impacts des moulins convertis en centrales hydrauliques ne sont pas comparables à ceux des moulins d’antan !

[8« les données disponibles montrent que la hauteur des ouvrages de moulins sur les cours d’eau classés en liste 2 (i.e. Article L 214-17-2, devant à terme se mettre aux normes de la continuité écologique et sédimentaire), est inferieure à 2 m dans 85% des cas et inférieure à 1 m dans 56 % des cas. » Page 97 du Rapport CGEDD n° 008036-03 établi par Alain BRANDEIS (coordonnateur) et Dominique MICHEL « Concilier la continuité́ écologique des cours d’eau avec la préservation des moulins patrimoniaux, la très petite hydroélectricité́ et les autres usages Pour un développement durable et partagé , Rapport détaillé́ d’état des lieux »

[9On cite souvent les turbines « Kaplan » ou « hélice » (voir par exemple l’offre de la société Turbiwatt : https://www.turbiwatt.com/), les roues « VLH » et les toutes nouvelles « turbines tourbillons ». Tous ces dispositifs buttent sur une même limite basse située autour de 1,2 m de chute. En deçà ne reste que les versions modernes des roues hydrauliques d’antan ; Le projet RESTOR-HYDRO, mentionné précédemment, préconise la réhabilitation ou la reconstruction à l’identique des anciens mécanismes : https://www.france-hydro-electricite.fr/wp-content/uploads/2019/08/Restoration_Handbook_Final-FHE.pdf. Par exemple les roues « par en dessous » SAGEBIEN et ZUPPINGER, datant de la deuxième moitié du XIXème siècle, sont bien adaptées aux très basses chutes (jusqu’à quelques dizaine de centimètres !) mais restent limitées par leur faible capacité d’entonnement, leur taille (5-10 m de diamètre) et surtout leur très lente vitesse de rotation parfois inférieure à 10 tr/mn ! https://www.academia.edu/36279088/Sagebien_and_Zuppinger_water_wheels_for_very_low_head_hydropower_applications

[10Cela suppose la disponibilité de codes de calcul permettant la conception de matériels électromécaniques parfaitement adaptés aux structures existantes et de nature à limiter au maximum les interventions sur le génie civil qui font « exploser » les couts. A notre connaissance de tels codes existent chez certains constructeurs mais pour des puissances bien supérieures à celles de nos vénérables moulins. Par ailleurs, les résultats des 4 appels d’offre « petites hydraulique » lancés par les pouvoirs publics depuis 2016 n’ont pas montré un avantage financier aux installations se proposant d’équiper des seuils existants par rapport à celles envisageant l’équipement de sites vierges si on se base sur les prix d’achat demandés pour l’énergie produite.

[11L’exemple du moulin de Saint-Thibéry sur l’Hérault illustre bien souvent une conversion en centrale électrique réussie, photo prise de l’aval à l’appui. Un photo prise d’amont montrerait le bâtiment technique cubique et le bras du dégrilleur défigurant la vue du moulin du XIème siècle et la perspective sur le pont médiéval situé en aval de la chaussée. https://fdmf.fr/moulins-de-france/liste-moulin/france/occitanie/herault/moulin-de-saint-tibery

[13Une idée de ces coûts est donné par le prix moyen de l’obligation d’achat des 4 moulins reconvertis en centrales hydroélectrique lauréats de l’appel d’offre de 2016 (150,7 €/MWh) qui est supérieur au tarif « H16 » actuel (132€/MWh pour le tarif annuel unique de l’obligation d’achat destiné aux basses chutes) }Source : CRE, RAPPORT DE SYNTHESE (VERSION PUBLIQUE), 6 avril 2017 Appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations hydroélectriques.

[14Environ 3M€/MW pour les installations nouvelles et sans doute plus élevé pour les moulins : 5 à 6M€/MW ? Peut-être davantage ?

[15Comme le conclu sagement la fiche technique de la FFAM consacré à la conversion des moulin à la production électrique : « Sous réserve d’une étude, votre moulin peut produire de l’énergie, sans toutefois avoir l’équivalence d’une centrale hydroélectrique (sauf les moulins situés sur un cours
d’eau important). Il est rare que l’on puisse tirer un revenu de cette production. » https://www.moulinsdefrance.org/wp-
content/uploads/2018/09/I_4_8_1.doc. il est donc permis de douter sur la volonté réelle des propriétaires de moulins de transformer ces derniers en centrale hydroélectrique : dans l’appel d’offre de 2016, seul appel d’offre destiné aux moulins à cette date, pour lequel il était attendu 50 moulins, seules 6 réponses ont été reçues par la CRE dont 4 ont été retenues (15 dossiers étaient, semble-t-il, remontés aux préfets de région d’après le rapport BRANDEIS-MICHEL, page 33 voir supra). Il n’y aurait que 500 moulins convertis en usine hydroélectrique aujourd’hui sur les dizaines de milliers soit disant possibles, encore faut-il retrancher de ce chiffre de 500 ceux dont la consistance diffère par trop de leur état originel : il s’agit de très banales petites centrales hydroélectriques. Néanmoins, les récentes innovations parlementaires exonérant les moulins électrogènes de la restauration de la continuité écologique peuvent jouer un rôle incitatif : plus de 150 demandes de telle conversion étaient déposées auprès des DDT au printemps 2021 d’après la DEB.